Rush

J'adoreDepuis quand n’avions nous pas vu si grand film sur le sport ? Il faut probablement remonter à la dernière décennie, peut être du côté de chez Eastwood ou de chez Aronofsky. Encore que cela serait tout à fait subjectif et impossible à départager. On avait en tout cas pas vu si fort et si maîtrisé depuis un bon bout de temps. Cette surprise, de façon inattendue, nous vient de chez Ron Howard, chez qui on attendait plus métrage de cette qualité. Sa filmographie n’a jamais été un exemple du genre, lotie par un nombre conséquent de jolis navets : Da Vinci Code, Le Dilemme, Le Grinch, pour ne citer qu’eux. Sa nouvelle réalisation, deux ans après la dernière, prend place dans le monde très fermé de la course automobile, sous genre du film de sport peu prisé des metteurs en scène. De tête, on pense au Grand Prix (1966) de John Frankenheimer, à Jours de Tonnerre (1990) de Tony Scott ou au Driven (2001) de Renny Harlin. En tout, on compte moins de dix films sur le sujet, et presque autant d’échecs commerciaux.

Un genre risqué donc, auquel s’attaque une équipe qui semble s’être trouvée : Ron Howard et le scénariste Peter Morgan. Rencontrés sur Frost/Nixon, les compères ont obtenu en 2009 les nominations de meilleur réalisateur et du meilleur scénario aux oscars pour leur biopic sur la confrontation télévisuelle entre le journaliste David Frost et le président des États-Unis Richard Nixon. Spécialisé en scripts inspirés de faits réels, Peter Morgan retrouve le cinéaste pour un nouveau biopic qui, encore une fois, raconte l’histoire d’un affrontement légendaire, celui entre James Hunt et Nikki Lauda, stars de la Formule 1 dans les années 70. Le sport est vaste et les duels de stars ne manquent pas, alors pourquoi ce binôme en particulier ? « Tout le monde ne parlait que de ça, même ceux qui ne s’intéressaient pas particulièrement à ce sport. Tous les journalistes écrivaient des articles sur eux » explique le réalisateur.

Qu’on soit familier ou non des sports auto il est difficile, en effet, d’avoir pu échapper à cette mythique rivalité  de l’histoire du sport. Un antagonisme défiant le simple esprit sportif, voilà tout le propos de Rush, tout ce qui fait sa force. Au delà de la compétition automobile, cette histoire d’hommes renvoie à la tragédie grecque : affrontement, mort, sexe, résurrection, passion, abandon, victoire, défaite. Tout ce qui fait la vie, tout ce qui interroge la mort, condensé en deux heures d’une course effrénée à 300 à l’heure. « 300 à l’heure« , c’est justement le titre de l’autobiographie de Nikki Lauda, dont s’inspira grandement Howard dans ses principales recherches. De nombreuses images d’archives, ainsi que l’aide du manager et chef mécanicien de James Hunt, Alastair Caldwell, renforcèrent l’immersion et le réalisme des spectaculaires courses automobiles dont est parsemé le film. Un travail d’orfèvre, mise en scène au cordeau (30 caméras en simultanés), maîtrisé à la perfection, qui crédibilise rapidement Rush comme l’œuvre la plus intense et remarquable du cinéaste à ce jour. Son meilleur film ? On laisse digérer.

Ils ne sont pas étrangers à cette réussite : Chris Hemsworth et Daniel Brühl incarnent parfaitement leurs rôles respectifs. Deux individus, deux personnalités, comme souvent : l’un est extravagant, séducteur, prétentieux, tête brûlé et facile dans l’effort. L’autre est solitaire, prudent, réservé mais travailleur, c’est le champion du monde. Deux opposés, régis par la même passion du sport mais divisés sur sa conception. James Hunt défie les limites, adopte un jeu agressif sur les pistes, profite des victoires et ses récompenses : argent, sexe, admiration. Nikki Lauda se démarque par sa vision scientifique et mathématique de son sport, il n’accepte pas plus de 20% de risque quand il entre dans sa voiture. «Ne me parle pas de pourcentage. […] Tu tues toute la beauté de la chose.» s’agace Hunt. «Tu étais prêt à mourir pour me vaincre. Pour moi c’est une défaite.» rétorque Lauda. Les deux idées se valent, après tout, qu’est ce que le sport ? Le dépassement de ses limites, la remise en question de son propre corps, donc de sa propre existence. Un aspect qui atteint son paroxysme en Formule 1, pratique funèbre voyant, en moyenne, deux morts par saison. «Quel homme ferait un tel métier ?» questionne rapidement le métrage. «Pas un homme normal, c’est sûr.»

Rush parle très bien du sport, mais surtout de l’homme. Les dialogues, parfaitement écrits, s’inscrivent dans une volonté féroce d’opposer les deux hommes mais d’accentuer, paradoxalement, ce qui les rapproche. «Le bonheur est néfaste. […] Tu as soudainement quelque chose à perdre.» explique Nikki Lauda à sa femme (Alexandra Maria Lara, sublime). Hunt, réputé immature, se marie dans l’espoir de gagner en maturité. Son mariage avec Suzy Miller (Olivia Wilde) est un échec, le pilote est un éternel gamin. De la même façon, leur opposition ne se résume pas qu’en course, mais dans la destinée même de leurs vies privées, dans leurs choix d’hommes, dans leurs réactions face au danger. L’impressionnant accident de Lauda amène une des plus belles scènes : Hunt, après la désobligeante question d’un journaliste envers son ennemi de toujours, le prend à parti et lui inflige une sévère correction. Preuve, avant tout, que les pilotes s’imposent en priorité un immense respect mutuel. Confirmation supplémentaire que les personnages, travaillés comme jamais, subliment l’empathie à leur encontre et magnifient leur incroyable face à face.

On attendait pas un si grand film de Ron Howard, l’évidence est pourtant là : Rush est une œuvre majeure et probablement un des plus époustouflants métrages sur le sport. Loin de n’évoquer que cet aspect, la réalisation pousse la réflexion jusqu’au méta en interrogeant la «puissance» qui pousse certains «rebelles, irresponsables, rêveurs» à tenter le diable pour se donner des ailes et «se sentir vivant.» Une œuvre complète, vrombissante, esthétisée (la photo est superbe) auquel Hans Zimmer, enfin inspiré à la composition, ajoute un supplément d’âme. Grand oublié des récompenses, Rush est, à bien des titres, notre oscar du meilleur film Américain de l’année. Sabrez le champagne !

Rush : De Ron Howard (2013)

Sans titreLe film est disponible au téléchargement.
Mot de passe : nicolensois
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2 réponses à “Rush

    • Tu as raison, je ne suis pas du tout familier de la Formule 1, pourtant le film m’a passionné. La raison est simple : Rush ne parle pas que de sport, et même quand il le fait, c’est tout à fait pertinent et spectaculaire (les courses sont d’une intensité dingue). Une grosse surprise pour ma part.

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