Promised Land

Je n'aime pas2007 : Matt Damon est considéré par le magasine Forbes comme l’acteur le plus benkable du monde. Six ans plus tard, l’acteur Américain figure toujours dans le club très privé des dix acteurs les plus rentables d’Hollywood. Tout sauf une surprise, sa carrière, jalonnée de succès, est un modèle du genre. La star n’est cependant pas qu’un talentueux comédien, son pedigree prouve qu’il possède de nombreuses flèches à son arc : acteur, producteur, scénariste et bientôt réalisateur, Damon est un activiste d’Hollywood qui a de l’énergie et des idées à revendre.

Promised Land, script traitant du brûlant sujet des gaz de schiste, devait, à l’origine, être son premier film. Différents problèmes de plannings en décidèrent autrement. Désormais, c’est vers son ami Gus Van Sant que se tourne le projet. Preuve de l’amitié solide entre les deux hommes : il ne faut que deux heures à Damon pour convaincre le cinéaste. Le temps d’un voyage en avion, à l’arrivée, le message tombe : « Je veux réaliser ce film ! »  L’estime qu’ils entretiennent l’un envers l’autre ne date pas d’hier. Elle remonte à leur rencontre sur Will Hunting, le film oscarisé de leurs consécrations, dont l’histoire avait été écrite par Ben Affleck et… Matt Damon, alors profane dans l’exercice de l’écriture. Un grand succès qui les poussa à ré-itérer l’aventure : cinq ans plus tard naquit Gerry, modeste drame sur l’errance. Dès lors, dix ans plus tard, c’est tout naturellement vers son intime complice que se porte le choix de transposer son troisième scénario sur grand écran.

Une histoire qu’il n’a pas tapée seul, bien aidé par l’acteur Américain John Krasinski, novice en la matière. Pour autant, malgré l’inexpérience générale des deux acteurs, l’entente fut excellente, comme l’explique ce dernier : «C’était génial. On s’est très bien entendus. On est devenus non seulement des collaborateurs, mais des amis». L’intéressé confirme : «John réfléchit avec une vivacité incroyable. L’écriture a été rapide, et nous avons beaucoup ri tous les deux.» Une symbiose parfaite qui tranche avec la discrète participation du metteur en scène. Quelle fût la hauteur de son apport au sein de ce film promis, un premier temps, à son célèbre compère ? Est-on en présence d’un véritable investissement ou d’un service rendu ? La question peut légitimement se poser au vu de l’extrême manichéisme avec lequel est dirigé Promised Land. Une déception, s’il en est, qui trouve son évidence dans l’existence même du projet.

Tout le monde connaît le fervent attachement de Matt Damon pour la cause écologiste, en atteste sa fondation développant l’accès à l’eau potable en Afrique. Le sujet du gaz de schiste, et notamment des techniques pour l’extraire, est au cœur de l’histoire qu’il nous raconte dont il incarne un des protagonistes, Steve Butler. Employés d’une compagnie pétrolière, lui et sa collègue Sue Thomason (Frances McDormand, en retrait) traversent les villes pour convaincre les habitants de vendre leurs terres afin d’en extraire tout le gisement de gaz. Dès les premiers instants, alors qu’on cherchait l’apport du cinéaste, la réponse crève les yeux : techniquement, Promised Land est un bijou. Épurée, sans artifices, authentique, intimiste, la mise en scène fait preuve à la fois d’une grande sobriété ainsi que d’une grandeur manifeste. De grandeur, justement, c’est tout ce qui manque au reste, à tout ce que n’a pas voulu (pu) faire Gus Van Sant dans l’élaboration des composantes du film. Ce qui ne l’empêche pas de partager le même engagement écolo que son ami, mais on imagine volontiers qu’avec une plume en main il aurait évité les clichés et la caricature qui domine chez tous les personnages inventés par Damon et Krasinski.

Rien d’étonnant, les deux scénaristes ont une expérience très faible de l’écriture. Leur association manque de maturité, de complicité, et débouche sur de nombreuses facilités, notamment en ce qui concerne leur parti pris écologique flagrant. La psychologie de leurs personnages le montre clairement : Steve Butler et sa collègue, envoyés par leur arrogant patron qui, dès la première scène, commande deux bouteilles de Château Margaux, arrivent en terrain conquis dans cette bourgade de campagne. Puis, les deux employés, pour s’intégrer et amadouer l’habitant, s’habillent façon couleur locale – «Vous avez oublié d’enlever l’étiquette.» signale un prospect – distribuent pot de vins sur pot de vins et mentent sur les revenus des exploitations. Heureusement, les braves fermiers, emmenés par un retraité conscient des risques de la fracturation, s’opposent aux vilains méchants du gaz. On caricature aussi, grossièrement, sans pour autant s’éloigner de la vérité de ce scénario guimauve qui se fait affronter, sans subtilité aucune, David contre Goliath, le pauvre contre le riche, le nomade contre le sédentaire.  «Notre compagnie pèse 9 milliards de Dollars, prenez notre argent et partez !» menace Matt Damon. «Oui, mais pour allez où ?» rétorque le gentil retraité qui n’a que sa terre et ses valeurs. Une autre scène, bien mielleuse, expose l’insistance d’une gamine à rendre le compte exact de sa vente de limonade au représentant du groupe énergétique. «25 cents, c’est 25 cents.» Sous entendu grossier sur la valeur de l’argent entre une petite fille, figure de pauvreté, et Steve Butler, figure du gaz tout puissant.

Sur le sujet du gaz de schiste, les raccourcis sont les mêmes : regard populiste sur le problème, émotions dirigées, traitement sans complexité, manque de nuances sur le propos. Et peu importe de savoir qui, dans ce débat, a tort ou a raison, puisque personne ne nie les problèmes liés à la fracturation hydraulique, encore moins ceux engendrés sur l’environnement. On aurait juste aimé plus d’intelligence et moins de préjugés, plus de partialité et moins d’opinions préconçues.

Au final, Promised Land méritait mieux, bien mieux que ses rôles clichés, que sa vision binaire et réductrice des grosses compagnies ou de l’Amérique profonde, que sa réflexion populaire du gaz de schiste, que ses scènes démagogiques ou son parti pris évident. Sans évoquer le grossier twist de fin, très malvenu, ou la pirouette scénaristique qui lui fait suite. Gus Van Sant méritait mieux, encore aurait-il fallu qu’il ait son mot à dire. Sa réalisation ne porte que la signature de sa mise en scène. Le fond, en revanche, respire l’amateurisme de ses deux scénaristes. De fait, en acceptant de diriger le projet de son ami, le réalisateur semble s’être violemment bridé. Trop bon, trop con.

Promised Land : De Gus Van Sant (2013)

Le film est disponible au téléchargement.
Mot de passe : nicolensois
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5 réponses à “Promised Land

  1. Je comprends mieux ce que tu entends par scènes démagos. C’est vrai qu’il y a de la maladresse dans le scénario. Après, chaque scène d’un film montre quelque chose, a une idée derrière la tête. Je dois etre bon public 😉
    Billet bien argumenté en tout cas, c’est très agréable à lire ! Mais tu trouves vraiment que le twist de fin était prévisible ?

    • Non, pas du tout, je n’ai aucune idée de pourquoi j’ai écris ça. J’ai du me tromper de mot. J’ai remplacé par « malvenu » car j’ai trouvé que ça appuyait encore plus le dualisme entre l’industrie omnisciente qui dupe même ses propres employés (ho les vilains manipulateurs) et les gentils habitants de l’Amérique profonde. Et la dernière scène, dégoulinante de bons sentiments, avec Damon qui passe du bon côté. Bref, beaucoup de choses m’ont dérangé dans ce Promised Land. Merci de ton commentaire !

  2. Je ne l’ai pas encore vu , mais je pense qu’insister avec lourdeur sur cette question n’est pas de trop pour certains : tous ceux qui n’ont pas les références écologiques et l’acuité du cinéphile érudit que vous êtes. Une des missions de l’art cinématographique est aussi d’ouvrir les
    yeux du peuple.

    • Il est pas mauvais c’est vrai, mais j’ai été déçu. Et oui, personne ne se leurre sur les méthodes sournoises des industriels mais ici tout est trop surligné et le débat du gaz de schiste n’est pas approfondi, ça manque globalement d’écriture. Mais le film dégage une certaine vérité, néanmoins.

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